Les règles en portage salarial

Le portage salarial, c’est un peu le couteau suisse du monde du travail moderne : ça permet de facturer comme un indépendant tout en gardant la sécurité sociale du salarié. Sur le papier, c’est le meilleur des deux mondes. Dans les faits, c’est un dispositif très encadré qui obéit à des règles précises, et si vous comptez vous lancer sans comprendre comment ça fonctionne, vous risquez de vous retrouver avec des surprises désagréables au moment de recevoir votre première fiche de paie. Parce que oui, en portage salarial, vous avez une fiche de paie, un bulletin de salaire avec des cotisations, des charges, et tout le folklore administratif français qu’on adore tant. Sauf que vous n’êtes ni vraiment salarié d’une entreprise classique, ni vraiment indépendant. Vous êtes dans une zone grise parfaitement légale qui demande quand même de maîtriser quelques fondamentaux.

Le principe de base est simple : vous trouvez vos propres clients, vous négociez vos missions, vous fixez vos tarifs, mais c’est une société de portage qui facture à votre place et vous verse un salaire. Concrètement, vous signez un contrat de travail avec cette société de portage, qui devient votre employeur officiel. Votre client, lui, signe un contrat de prestation avec la société de portage. Vous réalisez la mission, le client paie la société de portage, et celle-ci vous reverse une partie de cette somme sous forme de salaire, après avoir prélevé ses frais de gestion et l’ensemble des cotisations sociales. C’est un montage à trois qui permet d’éviter les lourdeurs administratives de la création d’entreprise tout en sécurisant votre statut. Vous cotisez au régime général, vous accumulez des trimestres de retraite, vous avez droit au chômage, à la formation professionnelle, aux arrêts maladie. Bref, vous êtes protégé comme un salarié classique, mais vous gardez votre autonomie dans le choix de vos missions.

Maintenant, parlons des règles qui structurent ce dispositif, parce que c’est là que ça devient concret. Le portage salarial est encadré par une convention collective nationale, celle de la branche du portage salarial, qui définit les droits et obligations de chacun. Cette convention fixe notamment le salaire minimum en portage, les conditions de travail, les indemnités, et toute une série de garanties pour éviter les abus. Pour en savoir plus sur ces règles conventionnelles, il faut comprendre qu’elles ne sont pas optionnelles : toute société de portage sérieuse doit les respecter. Première règle non négociable : vous devez facturer au minimum 250 euros hors taxes par jour travaillé. En dessous de ce seuil, la société de portage n’a théoriquement pas le droit de vous porter. Pourquoi cette limite ? Parce que le portage salarial n’est pas conçu pour remplacer des emplois classiques mal rémunérés, mais pour accompagner des consultants, des experts, des professionnels qualifiés qui ont une vraie valeur ajoutée sur le marché. Si vous facturez 150 euros la journée, vous feriez mieux de chercher un CDI ou de monter une micro-entreprise, le portage n’a aucun intérêt économique pour vous à ce niveau de tarif.

Deuxième règle structurante : votre salaire net ne peut pas descendre en dessous d’un certain plancher, fixé à 75% du plafond mensuel de la sécurité sociale pour un temps plein, soit environ 2800 euros bruts par mois en 2025. Ce minimum salarial garantit que vous ne vous retrouvez pas dans une situation où vous facturez certes, mais où vous gagnez une misère après déduction de toutes les charges. C’est une protection contre les dérives, notamment pour éviter que des sociétés de portage peu scrupuleuses ne vous fassent miroiter des revenus élevés tout en vous reversant des cacahuètes sous prétexte de frais de gestion astronomiques. La réalité, c’est que la différence entre ce que facture votre client et ce que vous touchez à la fin représente entre 45 et 55% du chiffre d’affaires. Sur 500 euros facturés par jour, vous toucherez entre 225 et 275 euros nets, selon les cotisations et les frais de gestion de votre société de portage. Ce n’est pas de l’arnaque, c’est juste la réalité du coût du travail en France : entre les charges patronales, les charges salariales, la mutuelle, la prévoyance, la formation, les congés payés provisionnés et les frais de gestion, on arrive vite à ces proportions.

Le contrat de travail et les obligations légales

Le contrat de portage salarial peut prendre deux formes : le CDI ou le CDD. Le CDI en portage est de plus en plus courant, notamment pour les consultants qui enchaînent régulièrement des missions. Entre deux missions, vous restez salarié de la société de portage, mais vous ne percevez pas de salaire si vous n’avez pas d’activité facturée. Vous pouvez cependant bénéficier d’un dispositif de garantie financière pour lisser vos revenus : vous provisionnez une partie de vos revenus pendant les périodes fastes pour les récupérer pendant les périodes creuses. Le CDD, lui, correspond à une mission précise avec un client identifié et une durée déterminée. Il ne peut pas dépasser 18 mois, renouvellements inclus, comme n’importe quel CDD classique. À la fin du contrat, vous avez droit à une indemnité de précarité de 10% si le contrat n’est pas transformé en CDI. C’est exactement le même principe que pour un salarié lambda.

Autre règle importante : vous devez disposer d’une autonomie réelle dans l’exécution de votre mission. Le portage salarial n’est pas fait pour remplacer du salariat déguisé. Vous ne pouvez pas être en portage si vous travaillez sous la subordination directe et permanente d’un client, avec des horaires imposés, des objectifs définis au jour le jour et un contrôle hiérarchique constant. Si votre mission ressemble à un CDI classique, c’est que vous êtes probablement dans une situation de requalification potentielle en contrat de travail direct avec le client, et ça peut poser de gros problèmes juridiques à tout le monde. Le portage suppose que vous pilotez votre mission, que vous livrez des résultats, que vous organisez votre temps. Vous pouvez bien sûr avoir des points réguliers avec votre client, respecter des deadlines, suivre un cahier des charges, mais la relation ne doit pas être celle d’un manager avec son subordonné.

Les sociétés de portage ont aussi des obligations envers vous. Elles doivent vous proposer un accompagnement, notamment au démarrage, pour vous aider à prospecter, à fixer vos tarifs, à rédiger vos contrats commerciaux avec vos clients. Elles doivent gérer toute la partie administrative : facturation, relances clients, déclarations sociales, bulletins de paie, notes de frais. Elles doivent également vous proposer un accès à la formation professionnelle via votre compte CPF et un plan de développement des compétences. En échange, elles prélèvent des frais de gestion qui oscillent généralement entre 5 et 10% de votre chiffre d’affaires hors taxes. Certaines sociétés affichent des taux à 3%, mais ajoutent ensuite des frais cachés sur les notes de frais, la gestion administrative ou d’autres services. Lisez bien les conditions générales avant de signer, parce que c’est là que se nichent les mauvaises surprises.

Côté fiscal, vous êtes imposé comme un salarié classique. Vous déclarez vos salaires nets, pas votre chiffre d’affaires. Vous bénéficiez de la déduction forfaitaire de 10% pour frais professionnels, ou vous pouvez opter pour les frais réels si vous avez des dépenses importantes liées à votre activité. Mais attention : les frais professionnels en portage salarial sont encadrés. Vous ne pouvez pas déduire n’importe quoi. Les frais de déplacement, d’hébergement, de restauration liés à vos missions chez vos clients passent généralement via des notes de frais remboursées par la société de portage, donc hors de votre salaire imposable. En revanche, vos frais de structure personnels, comme un bureau à domicile ou du matériel informatique, sont plus compliqués à gérer. Certaines sociétés de portage acceptent de les intégrer dans les notes de frais, d’autres refusent. C’est un point à négocier avant de vous engager.

Dernier point crucial : vous ne pouvez pas travailler pour n’importe quel client en portage salarial. Il existe des exclusions sectorielles. Vous ne pouvez pas faire de portage pour des missions dans les services à la personne, dans le BTP avec manipulation d’outils dangereux, ou pour des prestations commerciales itinérantes type VRP. Le portage est conçu pour des activités intellectuelles, du conseil, de l’expertise, de la formation, du coaching, de la gestion de projet. Si votre activité consiste à poser du carrelage ou à vendre des cuisines en porte-à-porte, le portage n’est pas fait pour vous, et aucune société sérieuse ne vous acceptera.